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[3] Élever le niveau de toutes et tous

Comment lutter contre la fracture scolaire ? Dans une cité comme Genève, l'école publique rassemble toutes sortes d'élèves qu'elle doit amener autant que possible vers des savoirs, des compétences et des valeurs partagés, bref la culture commune qu'elle est tenue d'enseigner. La comparaison des cantons confirme ce qu'a démontré la recherche en éducation : plus la population est contrastée, plus la mission est complexe. Il faut tenir compte des différences, ne pas les « respecter ». Lutter contre les inégalités sans déqualifier les familles, ni non plus ce que l'instruction peut leur apporter. Peut-on gagner sur les deux tableaux : n'oublier personne et garder quand même de hautes aspirations ? La justice n'exclut pas l'exigence. Elle en est même la condition.

Dans un monde où faiblissent les solidarités, la pression sociale et économique, le repli sur soi et la lutte pour les meilleures places peuvent nous inciter à valoriser la compétition entre élèves dès les premiers degrés : « A chacun sa chance, que le meilleur gagne et malheur aux attardés ! » En démocratie, ce principe est deux fois insoutenable. Moralement : il est interdit d'exclure du savoir une partie de la population. Politiquement : il est insensé d'opposer la masse et les élites, l'instruction obligatoire et les études longues à options. Si le Brésil est champion du monde de football, c'est à cause de onze joueurs de très haut niveau, mais surtout de millions d'adeptes anonymes dont ils sont l'avant-garde. Plus l'iceberg est massif, mieux sa pointe peut émerger.

Sortons des fausses oppositions : il n'y a pas à choisir entre pousser les moins bons et niveler par le haut. Plus on s'inquiète des élèves en difficulté, plus on développe de solutions : pédagogie différenciée, parcours adaptés, évaluation formative, intégration. Resserrer les classements pousse l'école à davantage d'inventivité, améliore le climat des établissements, soutient l'engagement des élèves dans le travail demandé et celui des maîtres qui s'en trouve gratifié. Reléguer pour mieux former est une logique absurde qui a montré ses limites : on croit offrir une « seconde chance » (redoublement) ou un « enseignement adapté » (sections) ; en vérité, on aggrave les écarts en laissant s'installer les lacunes et le sentiment d'échouer. Quand les classes sont dûment hiérarchisées, elles génèrent de la résignation, de l'autodénigrement, des rapports de force entre élèves et enseignants. L'échec crée la violence qui crée la répression : les professeurs ne reconnaissent plus leur métier et les jeunes des quartiers reprochent à l'école de les mépriser. On n'inverse le mouvement qu'en renonçant d'abord à exclure. Comment trouver des solutions si l'on ne se donne pas cette obligation ?

La logique de l'intégration donne partout de meilleurs résultats que celle de la ségrégation. Un niveau général élevé n’exclut pas un resserrement des écarts entre les élèves les mieux et moins bien classés : il le permet, surtout si les moyens humains et pédagogiques sont proportionnés. Les enquêtes internationales ont confirmé trente ans d'études en éducation : le redoublement et les filières séparées sont au mieux inefficaces, au pire néfastes. « Il est particulièrement urgent d’agir dans les pays où le système éducatif oriente les élèves vers différents types d’établissement ou de fiière à un stade précoce de leur scolarité, dit le dernier rapport PISA. Non seulement parce que cette forme de stratification donne lieu à des écarts plus marqués entre établissements, mais aussi parce qu’elle est associée à de plus fortes disparités socio-économiques dans les résultats de l’apprentissage. » Ceux qui veulent refaire l'école en préconisant le redoublement annuel à l'école primaire et la multiplication des sections aux cycle d'orientation donnent peut-être l'impression du bon sens et de l'ambition. Malheureusement, ils ont tort, se trompent et trompent la population. Le savoir s'additionne, il ne se soustrait pas : comme à vélo, les moins forts ne ralentissent pas le peloton, ils profitent de l'aspiration. Rassembler les élèves, empêcher qu'ils décrochent est plus juste et plus efficace que de faire de la sélection la condition de la formation.

Former sans exclure, janvier 2006

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Le collège : entre culture de l’hétérogénéité et culture de l’homogénéité. Perspectives internationales, par Marcel Crahay et Arlette Delhaxhe (Les Conférences du PIREF, mai 2003) – Structure unique et enseignement différencié – La culture de l’intégration profite aux élèves faibles – Elle ne pénalise pas les forts – L’évolution de quelques pays démocratiques – Résumé | pdf

Le niveau baisse : mythe ou réalité ? (Résonances, n°2, 2003) – La rengaine de la baisse de niveau – Le niveau monte : une vision à affiner – Le niveau orthographique baisse, la faute à qui ? – Le niveau baisse ! Que dit la recherche ? | html