Le socio-constructivisme : un épouvantail ?

La Tribune de Genève, 28 septembre 2006
Etiennette Vellas, Genève

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Qu'est-ce que le socio-constructivisme se demande le citoyen qui a lu ou entendu ce mot durant la campagne qui vient d'avoir lieu à propos de la votation sur l'école à Genève. Le mot est rebutant ? A des résonances savantes ? Peut-être. Mais essayons de le comprendre. Pour ne pas lui faire dire ce qu'il ne dit pas.

Le socio-constructivisme n'est ni un mode d'enseignement, ni une méthode, ni une pratique pédagogique. Il n'est pas plus une théorie de l'enseignement. Ce n'est qu'une réponse, celle de l'ensemble de la recherche, à la question générale : qu'est-ce qu'apprendre ? comment les êtres humains apprennent-ils ?

Cette théorie dit que chaque être humain construit sa connaissance. Que tout apprentissage passe par une activité mentale de réorganisation du système de pensée et des connaissances existantes de chacun. Que sans cette activité, aussi invisible qu'intense et complexe, aucun savoir nouveau ne peut être intégré. Elle insiste en outre sur le rôle majeur des interactions sociales pour que cette activité de construction ait lieu (d'où le mot socio ajouté au mot constructivisme).

De Piaget aux travaux les plus récents, la recherche a attesté de l'existence de cette construction et de sa dimension interactive. La contester est aussi absurde qu'affirmer que la Terre est plate. C'est pourquoi aucun expert en processus d'apprentissage ne peut imaginer aujourd'hui un enseignant qui ne verrait pas l'enfant comme constructeur de ses connaissances. Et c'est pourquoi un des rôles des recherches de la pédagogie, des diverses didactiques et des sciences de l'éducation en général est d'aider les enseignants à mieux observer, stimuler, encadrer, réorienter cette activité mentale des élèves indispensable à l'apprentissage.

Quand les systèmes éducatifs font du constructivisme leur "théorie de l'apprentissage de référence ", ce qui est une nouveauté, ils font preuve d'intelligence. Et de manière légitime, ils attendent alors de la formation des maîtres qu'elle les instruise du caractère incontournable de la construction active des savoirs.

Pour les enseignants qui ont une formation en sciences sociales et humaines, les théories constructivistes font ainsi désormais partie du savoir professionnel de base, au même titre que la connaissance du métabolisme fait partie de la connaissance d'un médecin. Ils savent donc aussi que le socio-constructivisme est un cadre général à l'intérieur duquel on débat encore de la diversité, de la complexité, de la temporalité, de la visibilité des modes de construction des connaissances. Et savent aussi que la connaissance des processus d'apprentissage ne suffit pas pour savoir comment enseigner, mais qu'elle leur ouvre des possibilités d'action éducative et d'interprétation des difficultés d'apprentissage, riches et prometteuses. Lorsqu'un élève n'apprend pas, ces enseignants cherchent ainsi à savoir ce qui empêche la construction des connaissances. Vérifient la présence des bases, des fondations nécessaires à l'acquisition du nouveau savoir qu'ils doivent transmettre. Et tentent de repérer la présence d'une connaissance fausse mais bien installée quand celle-ci fait obstacle à la compréhension.

Dire qu'un enseignant est constructiviste ou socio-constructiviste devrait ainsi simplement souligner son professionnalisme ; garantir qu'il a compris l'essentiel des théories développées par des chercheurs comme Piaget, Wallon, Vygotski, Bachelard et leurs successeurs ; indiquer aux citoyens que cet enseignant ne prend pas comme référence des théories de l'apprentissage fragiles ou dépassées.

Que se passe-t-il aujourd'hui pour que les adversaires des réformes fassent du constructivisme un épouvantail ? Est-ce parce que l'activité de construction et reconstruction des connaissances va à l'encontre des représentations les plus communes de l'enfant qui apprend ? Ou parce qu'on confond, de bonne ou de mauvaise foi, le constructivisme avec une méthode particulière d'enseignement ?

Une raison plus inquiétante peut aussi exister. Reliée aux enjeux sociaux du constructivisme. Savoir en effet que tout enfant se construit, fabrique activement son intelligence et ses savoirs, n'est donc pas une oie que l'on peut gaver ni une terre glaise à modeler, voilà qui peut être aussi enthousiasmant pour certains qu'insupportable pour d'autres. Nous ne pouvons qu'espérer que les résistances actuelles au socio-constructivisme ne proviennent que de la méconnaissance des théories de l'apprentissage que recouvre ce terme, difficile d'accès il est vrai, ou de l'irritation que suscitent certaines pédagogies simplistes qui s'en réclament.