Un remake issu de la peur et du calcul

Tribune de Genève, 13 septembre 2006
Philippe Perrenoud, Genève

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L'initiative de l'Arle a obtenu 28 000 signatures en surfant sur la peur: peur de l'avenir, peur de l'inconnu, peur de la complexité, peur de soi-même. C'est un vieux truc: capter l'angoisse des gens et leur dire "Revenons au passé, quand tout allait bien". Le ministre français de l'éducation vient d'annoncer qu'il restaurait la dictée, le calcul mental et les méthodes syllabiques. Si le ministre de la Santé se vantait de rétablir la saignée, il serait démis dans l'heure. En éducation, plus c'est rétro, mieux ça passe. Il était habile de prétendre "refaire" l'école avant même qu'elle ne change. Habile de reprocher à la rénovation les piètres résultats de Genève aux enquêtes internationales. Habile de tout miser sur les notes. Habile de se réclamer d'un souci d'égalité en combattant toutes les mesures concrètes de lutte contre l'échec scolaire. Habile d'imputer à la rénovation les maux qu'elle voulait combattre. C'était habile, mais indigne d'une société développée.

Il est non moins navrant de voir la droite genevoise pratiquer la surenchère, moitié par conviction, moitié par calcul, avec un contre-projet encore plus conservateur. Martine Brunschwig Graf a lancé la rénovation que son parti combat. Dominique Föllmi a poursuivi l'effort de démocratisation d'André Chavanne: le parti démocrate chrétien s'en souvient-il? Et qui pourrait imaginer que les radicaux ont jadis contribué à la modernisation du système éducatif, jusqu'à la création du Cycle d'orientation en 1962?

Si le oui l'emportait le 24 septembre, les historiens retiendraient de cette triste période l'image d'une Genève frileuse, qui se replie sur son passé, qui n'ose rien. Bientôt célèbre pour son conservatisme en matière scolaire.

S'ouvrirait une période de remake de l'école d'hier, autant dire de glaciation. Il faudrait à notre République 10 à 20 ans pour s'en relever. Ça n'empêcherait pas la Terre de tourner: notre planète connaît des problèmes bien plus graves. Mais les Genevois, eux, regretteraient, mais un peu tard, d'avoir cédé à la peur.