Une école simple et pas chère, ou qui lutte intensivement contre l'exclusion ?

Au Courrier, 12 septembre 2006
Olivier Maulini, Genève

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Plus la campagne avance, plus on voit que les solutions de ceux qui veulent " refaire l'école " n'en sont pas. Ils le disent eux-mêmes, montrant par là que l'exigence n'est pas toujours du côté où l'on croit.

Que faire, par exemple, quand un élève de sept ans ne sait pas (bien) lire ? Les initiants proposent simplement de lui faire refaire son année, y compris les heures de mathématiques, de géographie et de gymnastique dont il n'a pas l'utilité. Et lorsqu'on s'étonne de cette contradiction, qu'on se demande si un cours de lecture renforcé ne serait pas plus indiqué, que répondent-ils régulièrement ? Qu'un tel soutien serait idéal, mais qu'il est difficile à réaliser. Justement : c'est plus efficace, donc cela demande davantage d'efforts et d'inventivité.

Comme elle doute elle-même de sa solution, ARLE affirme sur son site Internet qu'on ne fera " jamais redoubler un élève pour des lacunes dans une seule matière ". Autrement dit : soyez bon en arithmétique et mauvais en orthographe, vous ne referez pas l'année juste pour cela. La moyenne est suffisante ; elle nivelle par le bas... C'est parce que les Finlandais ne transigent pas, parce qu'ils se fixent des priorités et corrigent les lacunes sans délai qu'ils obtiennent au final les bons résultats que l'on sait. ARLE préfère laisser les retards sectoriels s'accumuler, pour mieux se plaindre ensuite que trop de jeunes de 15 ans ne sachent pas accorder le participe passé.

Dans votre édition du 12 septembre, le chercheur québécois Clermont Gauthier - souvent cité par les détracteurs de l'école - réfute pourtant leurs arguments. " Les études ont montré que le redoublement n'entraîne pas les effets escomptés. Cela n'est pas en stigmatisant qu'on aide les élèves. Quand les élèves sont mis sur une voie de garage, ils y restent. " Il faut renoncer à cette pratique pour lui substituer une pédagogie efficace, qui " soutienne intensivement les élèves en difficulté ".

Soyons juste : dans de récentes interviews, les initiants admettent qu'un soutien rapide et ciblé sur les points faibles serait certainement pertinent. Mais ils regrettent que " l'école n'en [ait] pas les moyens financiers ", ou alors que ce se soit " impossible à réaliser ". On voit mieux désormais où se cache le renoncement : nous pourrions nous rapprocher des écoles avancées, mais ARLE dit que c'est trop coûteux ou que les enseignants genevois n'en ont pas les capacités. " Qui ne peut ne peut ", résignons-nous donc, avec eux, à la médiocrité…

Je suis enseignant genevois, et je pense que l'ARLE s'est trompée : elle veut lutter contre l'ignorance en laissant les élèves les plus faibles sur le bas-côté. Cela fait quatre ans qu'elle accuse l'école d'avoir trahi sa mission, de tout faire sauf instruire, de regarder pousser les enfants en leur demandant chaque matin s'ils désirent apprendre ou non. C'est l'inverse, en vérité : faire doubler la première primaire, puis passer automatiquement de degré en degré jusqu'au cycle d'orientation, c'est tout ce que proposent les initiants comme mesures de remise à niveau ; la voilà, la vraie démission.

Des appuis mieux ciblés, des groupes de besoin, une évaluation qui aide à apprendre, pas juste à comprendre qu'on a échoué : ce n'est pas " impossible " puisque les écoles genevoises s'organisent peu à peu de cette façon. Elles le font dans un contexte social et politique particulièrement astreignant, qui rend leur travail d'autant plus complexe, et le soutien des parents plus difficile à obtenir que dans d'autres cantons. Elles auraient besoin de solides moyens financiers et de la confiance de la population, pas d'un feu roulant de dénigrement donnant l'impression que l'enseignement du b-a-ba serait beaucoup plus simple et moins cher si au moins les maîtres acceptaient de rentrer dans le rang. Puisse cette campagne démontrer - avec l'aide d'ARLE et de la recherche québécoise s'il le faut - qu'à l'école, l'exigence est d'instruire, pas d'inscrire dans la loi une méthode surannée d'élimination.