L'initiative d'ARLE et son contreprojet : des réponses inadaptées aux défis de l'école

A la Tribune de Genève, 4 septembre 2006
François Thion, Genève

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Le 24 septembre prochain, nous sommes appelés à nous prononcer sur l'initiative de l' " association refaire l'école " (comme avant) et son contre-projet libéral.

Ces deux projets de lois vont dans le même sens : ils tentent de répondre maladroitement aux défis auxquels l'école doit faire face. Derrière le débat " notes ou pas notes " se cachent des enjeux nettement plus importants aussi bien en termes de recherche de nouveaux repères sociaux qu'en termes d'échec scolaire.

Depuis le milieu des années 70, et particulièrement après l'effondrement du système communiste, notre société subit de profonds bouleversements avec le passage progressif vers une société libérale dans laquelle l'économie joue un rôle écrasant. La recherche du bonheur individuel à travers une consommation effrénée est hissée sur un piédestal, cela devient une valeur reconnue, un nouveau repère. Face à la perte des valeurs traditionnelles comme la stabilité de l'emploi, le respect envers l'autorité, bon nombre d'entre nous sont tentés par les modèles d'autrefois. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la démarche des promoteurs de l'initiative d'ARLE et de ceux qui, politiquement, la soutiennent. Dans une société en pleine mutation, dans une société qui n'arrive pas à résoudre le problème du chômage des jeunes, dans une société où l'entrée en apprentissage ne se fait plus automatiquement comme autrefois parce que les exigences sont toujours plus grandes en terme d'acquis scolaires, l'initiative d'ARLE donne une réponse qui se veut rassurante mais qui est complètement inadaptée : retrouver l'école d'il y a trente ans.

Pour faire face à l'échec scolaire le contre-projet issu du parti libéral, est beaucoup plus contraignant que l'initiative passéiste d'ARLE. A l'évidence, ce contre-projet n'a aucune cohésion, il est un mélange de mesures complexes et inquiétantes. On y trouve à la fois des articles sur les notes et les moyennes, (art 27A), la création d'une sous-commission de la Conférence de l'instruction publique qui aurait pour tâche de censurer ou de dicter les recettes pédagogiques aux enseignants genevois, (art 27 F al 2), la mise en concurrence des établissements scolaires ce qui aura pour conséquence de creuser les inégalités (art 27G). D'autre part, il multiplie les épreuves communes au risque de transformer les leçons en bachotage (art 27A), il demande à l'autorité scolaire que les élèves soient suivis deux ans de suite par le même enseignant, ce qui n'a rien à faire dans une loi (art. 27 al 3), et inscrit le redoublement dans la loi alors que tous les experts nous disent qu'à l'école primaire le redoublement est inefficace.

Mais pendant que les experts débattent sur telle ou telle réforme pédagogique, le nombre d'élèves par classe augmente, la part du budget allouée au Département de l'instruction publique diminue et l'école n'a bientôt plus les moyens financiers pour lutter contre l'échec scolaire alors que la Loi genevoise en matière d'instruction publique l'exige (art.4). Chaque année de nouvelles mesures d'économie sont annoncées dans les différentes écoles. Les coupes budgétaires et les rabais fiscaux octroyés aux plus fortunés déploient leurs effets.

Laissons les différents professionnels du système scolaire rechercher les meilleures méthodes pour accroître l'efficacité de l'école, autrement dit, ce n'est pas dans les lois que nous trouverons la réponse à donner pour diminuer l'échec scolaire. A l'hôpital, aucune loi ne dicte aux médecins comment opérer une appendicite. Dire non à initiative et au contre-projet, c'est admettre que, dans cette société complexe, les acteurs de l'école, comme ceux du monde médical, sont des professionnels et qu'il s'agit de leur faire confiance. Ils savent qu'en matière d'enseignement, il n'y a pas une recette pédagogique unique, mais qu'elles sont nécessairement multiples parce qu'adaptées aux élèves qui sont différents d'une classe à l'autre, il n'y a pas une seule forme d'évaluation, mais bien différentes modalités pour le faire. La pédagogie doit être rigoureuse, différenciée, active, elle doit tout particulièrement donner sens à l'apprentissage. Les enseignantes et enseignants genevois le savent depuis longtemps, eux qui, tous les jours, l'expérimentent dans leur classe.