L'école primaire doit rester l'école de tous

A la Tribune de Genève, 19 août 2006
Pierre-Alain Wassmer, Genève

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L’initiative d’ARLE sur l’école primaire, tout comme le contreprojet de la droite parlementaire – qui passent tous deux en votation le 24 septembre prochain – prétendent favoriser une « école de l’excellence » en élevant les normes de passages et en augmentant le nombre d’examens en cours d’année.

Suffit-il de hausser les barrières pour sauter plus haut ? Non, évidemment, et au final on aura une « école des élèves excellents », ceux qui ont déjà tous les atouts pour réussir. Et tant pis pour les autres, car exiger toujours plus sans mettre en place une véritable pédagogie de soutien envers ces élèves ne mènera qu’à sélectionner davantage. A douze ans, le destin des élèves n’est pas définitivement fermé, alors… la sélection peut attendre.

En réalité il s’agit d’une confusion entre les deux rôles traditionnels de l’école publique : instruire et certifier. Ce n’est pas en donnant des certificats que l’on instruit. Les écoles privées en savent quelque chose, puisqu’en général les résultats ne sont pas certifiés par l’école elle-même. Dans l’enseignement public on croit parfois que l’échec peut servir de menace pour « motiver » les élèves. Il suffirait ainsi de multiplier les « évaluations certificatives » pour faire apprendre la leçon aux élèves. C’est tout le contraire qui se passe. Ces examens sont autant de moments de sélection qui découragent les élèves les plus faibles et les relèguent au fond du classement. Après redoublement, la tâche est encore plus difficile pour les remotiver, et leur permettre d’acquérir le minimum nécessaire. C’est ce que montre la recherche en éducation.

La véritable école de l’excellence, celle qui amène tous les élèves à un haut niveau de connaissances, ne se décrète pas, elle se construit patiemment avec les enseignants. C’est le projet notamment de la Rénovation, qui peu à peu se met en place et se corrige – toutes les innovations demandent une période d’adaptation. Ne jugeons pas la Rénovation sur des préjugés. Les résultats de PISA, par exemple, concernent essentiellement l’école d’avant la rénovation, celle que les milieux conservateurs cherchent justement à rétablir.

Pour améliorer l’école, il faut un projet qui mobilise les enseignants et les parents, qui concentre les efforts sur les élèves en difficulté, tout en mobilisant les bons élèves. Pour cela il faut un enseignement différencié qui permet à chaque élève d’avancer à son rythme. Cette école centrée sur les apprentissages, tire l’ensemble des élèves vers le haut et ne freine pas les meilleurs, contrairement à ce qu’on croit parfois.

Les pays qui ont les meilleurs résultats dans PISA – la Finlande, le Canada, le Japon – sont aussi ceux qui sont le plus égalitaires, ceux qui ont le moins d’élèves en échec, mais aussi ceux qui préservent la confiance entre l’école, les enseignants et les parents.

Après quinze ans de crise budgétaire, il faudra choisir entre économies et progrès : « faire mieux avec moins » est sûrement un beau slogan pour une lessive. Mais face à la complexité de l’école et à la demande éducative croissante, on ne peut pas continuer de réduire les ressources sans provoquer des baisses dans les prestations. Les postes économisés doivent être affectés à des appuis personnalisés et permettre un enseignement différencié. C’est seulement comme cela que nous pourrons relever le niveau général de l’enseignement primaire. Les pays scandinaves ont bien compris les enjeux de l’éducation car depuis longtemps ils investissent bien plus que nous dans l’école obligatoire.

Une véritable réflexion est nécessaire devant l’ampleur et la complexité des tâches : des décisions mal informées peuvent ramener l’école trente ans en arrière, alors qu’elle devrait au contraire se moderniser pour répondre aux attentes d’une société toujours plus exigeante.

Le 24 septembre, il faut dire 2 fois NON à l’initiative d’ARLE et au contreprojet du parlement parce que l’école publique a le devoir de former tous les élèves, et pas seulement ceux qui ont déjà toutes les facilités. Il faut refuser la facilité d’exclure et exiger la formation de tous.