École : les faits seront têtus
Rompre le cercle vicieux et ne plus accuser le degré précédent

Le Temps, 15 février 2006
Olivier Maulini, Genève

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Tout semblait joué, et le débat sur l’école pourrait pourtant être relancé : y aura-t-il assez de députés, jeudi soir, pour stopper – tous partis confondus – une fuite en arrière irraisonnée ? Sera-t-il possible de se parler à nouveau entre gens de bonne volonté, de trouver – non un compromis bâclé – mais un projet fort capable de nous rassembler : parents, enseignants, citoyens, députés ? Il faudrait, pour cela, sortir de l’affrontement et revenir à trois faits susceptibles de faire l’unanimité.

Premier fait : il y a des raisons d’être inquiet. Mieux former nos enfants, n’en exclure aucun de la culture et de la citoyenneté : cet enjeu est vital pour une société démocratique, plurielle, complexe, dont la cohésion et la prospérité dépendent d’un accès au savoir généralisé. Personne ne veut niveler par le bas. Il n’y a pas d’un côté l’innovation, de l’autre la civilisation, même et surtout si les sirènes populistes veulent nous faire choisir notre camp. Notre avenir est devant nous, sauf bien sûr si nous y entrons à reculons.

Second fait, donc : les problèmes ne seront pas la solution. Comme on ne soigne pas une fracture avec un marteau, nous ne réduirons pas l’échec scolaire par les mauvaises notes, les moyennes chiffrées et le redoublement. On a déjà essayé. Les élèves en difficulté ont besoin de soutiens rapides et ciblés, d’une pédagogie différenciée et d’une évaluation qui les aide à apprendre, pas à se résigner. Les professionnels de l’enseignement travaillent dans ce sens avec le soutien des parents : pourquoi ne pas nous fier au bon sens et aux compétences des acteurs de terrain ? Ce serait une marque de respect.

On a souvent dit que le Parlement devrait fixer un cap et laisser les gens de métier choisir les moyens appropriés. Mais puisqu’il hésite, puisqu’il veut quand même et lui-même statuer sur les bonnes manières d’enseigner et d’évaluer, pourquoi le fait-il donc à fronts renversés ? C’est le troisième fait, celui qui plaide le plus en faveur d’un sursaut collectif, d’une alliance au moins provisoire transcendant les partis : les enquêtes internationales et la recherche en éducation montrent où sont les meilleures pratiques ; l’initiative d’ARLE et le contre-projet de la commission de l’enseignement partent résolument dans l’autre direction !

« La Finlande, le Canada ou le Japon nous montrent que les pays les plus performants sont aussi les plus égalitaires, résume par exemple la direction de l’enquête PISA (www.former-sans-exclure.org). Les élèves ont plaisir à apprendre, les relations avec les professeurs sont très bonnes, le climat est moins à la répression qu’à l’autodiscipline. Le redoublement est quasi inexistant, voire interdit, car considéré comme une facilité qui évite aux professeurs de prendre leurs responsabilités dans l’échec des élèves. » Il y a deux sortes de systèmes : ceux qui sanctionnent chaque année les enfants en difficulté ; ceux qui s’occupent d’abord de les former. Nous sommes prisonniers à Genève du premier raisonnement : dès qu’un jeune n’apprend pas, nous nous retournons vers le degré précédent en lui reprochant de ne pas avoir répété les choses assez longtemps ; les maîtres du collège se plaignent de ceux du cycle qui se plaignent des instituteurs qui s’en prennent aux parents qui dénoncent les enseignants… Les Scandinaves, eux, agissent ici et maintenant. C’est plus juste et plus efficace : on rompt le cercle vicieux et tout le monde va de l’avant.

Ces faits sont connus, largement documentés. On sait au total que les bons résultats sont fortement corrélés avec le niveau de formation des enseignants, la confiance que leur accordent les autorités, l’alliance entre l’école, les parents et la population. Cette alliance ne se noue pas en un jour. Elle dépend de chacun d’entre nous, de notre capacité de parler d’instruction sans renier ce que nos maîtres nous ont enseigné : agir de manière raisonnée, en confrontant certes nos idées, mais en nous soumettant collectivement à l’arbitrage des faits. Car les faits, c’est connu, sont têtus : ils ne peuvent pas voter, mais ce sont eux qui finiront par trancher.