Rénovation de l'école primaire : ce n'est pas une lubie pédagogiste

Le Temps, 27 octobre 2005 | version pdf
Jean-Marc Jaeggi, Genève

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L’article publié le 5 octobre 2005 concernant les péripéties du lancement de la rénovation de l’école primaire genevoise laisse malheureusement dans l’ombre les raisons pédagogiques qui ont motivé les autorités scolaires à entreprendre ces réformes.

La rénovation a pour but de lutter contre l’échec scolaire. Elle en est donc la conséquence et non la cause Les « mauvais » résultats des élèves, montés en épingle lors des test PISA ne peuvent lui être imputés comme le font les partisans de l’initiative d’ARLE qui devra être votée prochainement. En effet, seule une toute petite minorité d'élèves (environ 10%) concernés par ces tests ont été, et encore, quelques années seulement, dans une école en rénovation.

L’échec scolaire est bien antérieur aux réformes entreprises mais se révèle d’autant moins tolérable qu’il conduit, aujourd’hui plus que hier, à l’exclusion sociale. Des chercheurs en Sciences de l’Éducation, des autorités scolaires, des enseignants de nombreux pays réfléchissant sérieusement sur l’école ont décrit depuis longtemps les limites de l’école traditionnelle en proposant des solutions pour les dépasser. La rénovation constitue une synthèse de ces solutions et n’est donc pas sortie tout droit du cerveau embrumé de quelques « pédagogistes » comme le laissent entendre ses adversaires.

Les élèves n’apprennent pas tous au même rythme, à l’aide des mêmes méthodes. C’est ce que néglige le système traditionnel. En voulant rétablir un parcours rigide pour tous les élèves les partisans d’ARLE font croire que tous les élèves vont comprendre la matière enseignée au même moment, comme par miracle. N’importe quel enseignant sait qu’il est au contraire nécessaire de prendre en compte les difficultés réelles des élèves et de leur proposer des activités différentes leur permettant de surmonter « leurs » difficultés. C’est ce qu’on appelle la différenciation. C’est précisément dans le but de la rendre possible que bon nombre des innovations qui constituent ensemble la rénovation ont été proposées. Il n’est peut-être pas inutile de les résumer :

La rénovation s’est élaborée sur une série d’éléments assemblés de manière cohérente et logique. Dans les faits, sa mise en place ne se fait pas sans un certain nombre de difficultés. Car, pour éviter de mettre les élèves sur de fausses voies, il faut prendre le temps nécessaire, procéder pas à pas, ajuster prudemment le tir, coordonner son action avec celle des autres enseignants de l’école. Il s’agit d’un vrai changement modifiant en profondeur bon nombre d’habitudes fortement ancrées chez les enseignants.

Malheureusement, avant même que la rénovation n’ait pu faire ses preuves, un groupe de citoyens a cru bon de tout saboter en attisant la crainte des parents, compréhensible par ailleurs, de voir l’école qui leur était familière se transformer. L’acceptation de cette initiative risque non seulement d’anéantir l’effort considérable de centaines de personnes qui ont œuvré durant des années pour créer une école plus efficace mais, plus grave, de compromettre les chances de réussite de nombreux élèves. Nous osons espérer que le peuple, lui, se montrera plus sage.