École et efficacité : une effrayante confusion

Bilan, n°186, juillet 2005 | version pdf
Olivier Maulini, Genève

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Vous publiez dans votre édition du 15 juin un intéressant article sur l'école publique et son efficacité. Vous souhaitez vous en tenir aux faits, ne pas confondre l'" émotionnel " et le " rationnel ", les corrélations et les liens de cause à effet. Comment rendre compte sans tabou des différences entre les cantons ? C'est en effet une importante et difficile question.

Vous partez d'un constat qui n'est pas discuté : Genève et Vaud sont moins bien classés que Fribourg et le Valais. Vous titrez - pour créer l'émotion ? - que " les cantons les plus chers sont les moins efficaces ". Comme la corrélation entre coût de la vie et maîtrise de la lecture n'est pas simple à prouver, vous cherchez dans votre éditorial une autre explication : ce n'est pas le budget mais l'horaire des élèves qu'il faut incriminer. On est moins paresseux à Fribourg qu'à Lausanne, voilà selon vous le lien de causalité.

L'échec scolaire serait donc rationnellement expliqué : pour faire monter le niveau, supprimons deux semaines de vacances aux élèves en difficulté ! Sauf que cette solution laisse pendantes quelques questions :

- Si votre raisonnement est juste, pourquoi Neuchâtel et le Jura qui étudient moins que les Vaudois ont-ils malgré cela de meilleurs résultats ?

- Si les cantons sont seuls responsables, d'où viennent les écarts entre écoles de Finhaut et de Martigny (Valais), élèves du Mandement et de la Jonction (Genève) ?

- Si les différences sont moins fortes entre grilles horaires qu'entre campagnes et cités, villages et quartiers défavorisés, n'est-ce pas le signe qu'une variable a été oubliée ?

- Et si cette variable est la sociologie de chaque région (population, conditions de vie, statuts sociaux, professions, nationalités, langues parlées, rapport à l'école, à l'apprentissage, aux matières enseignées, à l'autorité des maîtres, etc.) est-il bien sérieux de ne pas en toucher un seul mot ?

L'examen honnête et attentif des résultats de PISA ne fait que confirmer ce que les enseignants et les chercheurs en éducation savent depuis trente ans : qu'il est absurde de juger une école en faisant abstraction de son environnement, des élèves qu'elle doit tous scolariser, qu'ils soient ou non déjà intégrés. Bien sûr que cela n'explique pas tout : une bonne pédagogie et des budgets adaptés peuvent corriger des inégalités. Mais ce n'est pas ce que vous dites, puisque vous préférez vous demander, sur la base d'un diagnostic infondé, s'il ne faudrait pas ponctionner l'instruction publique pour qu'elle fasse des progrès. Les Finlandais dépensent plus pour se chauffer que les Maltais : doit-on dire qu'ils gaspillent l'électricité ?

Nous pouvons et devons porter sur l'école un regard sans concession. Mal poser les problèmes, c'est être sûr de se tromper de solution. Que penserait-on d'un patron prétextant les coûts de production pour refuser d'investir et de soutenir l'innovation ? C'est pourtant ce que nous faisons en ce moment avec l'éducation. Sur ce point, vous avez sans doute raison : " Nous avons perdu la culture de l'exigence et nous contentons d'une reposante médiocrité. C'est assez effrayant ".